samedi 22 octobre 2016

Maintenir et développer une agriculture paysanne et de proximité : retour sur la journée de la Transition citoyenne



            Un bel après-midi d’automne pour la transition citoyenne,

             ou : comment maintenir et développer une agriculture

                                  paysanne et de proximité ?

               Comme les deux années précédentes, les deux AMAP romorantinaises et Dialogues à Gauche ont uni leurs forces dans un collectif ouvert à toutes les bonnes volontés, afin de s’inscrire dans la journée annuelle pour une transition citoyenne.


            Pour plus de sens au niveau local, la journée a été déplacée : au lieu du 26 septembre, la date du 9 octobre a été préférée, car c’était aussi celle du marché bio, présent le premier dimanche un mois sur deux.

               Cette année, c’est Mélanie Guibert qui a ouvert les portes de son exploitation familiale, et par là même celles de l’échange et de la réflexion. C’était le dimanche après-midi 9 octobre 2016, ensoleillé à volonté. Mélanie a repris la ferme de ses parents, à la Brigaudière, route de Selles (sortie de Romorantin, en face du Super U). Elle pratique la vente directe à la ferme de ses volailles élevées en plein air, nourries avec les céréales produites sur l’exploitation, sans OGM ni antibiotiques.

              Mélanie a ouvert l’après-midi en présentant une semaine type de travail sur l’exploitation, à la cinquantaine de participants. Nous étions tous au grand air, à proximité des parcs à volailles, le chien de la maison avec nous. De quoi nourrir les pensées à partir du terrain.

             Une semaine de Mélanie, c’est d’abord ce qui revient tous les jours : nourrir les volailles, les libérer le matin de leurs cabanes, et les fermer le soir sans rien oublier et à la bonne heure, pour les protéger des prédateurs (fouines, martres, renards,…). C’est ensuite une organisation différenciée de la semaine :

- du lundi au mercredi, l’exploitation des soixante hectares de terre, la préparation des aliments (qui est réfléchie sans être « standardisée »), le nettoyage des parcs, le soin apporté aux ruches et aux abeilles (activité complémentaire de Mélanie).

- A partir du mercredi soir, un nouveau cycle commence : capture des volailles bonnes à abattre, abattage (avec méthode respectueuse des animaux), découpe et conditionnement le jeudi, et vente au magasin de la ferme du vendredi après-midi au samedi midi.

- le samedi, Mélanie accueille aussi les éventuels locataires du gîte rural qu’elle tient sur la ferme.

- le dimanche, de la comptabilité, un peu de repos l’après-midi… (ouf !)

Au total, au moins soixante-dix heures de travail sur la semaine…

Cette présentation concrète et passionnante a permis à l’assemblée de mesurer l’ampleur des efforts à consentir, du courage à retrouver chaque matin, pour faire perdurer l’exploitation familiale. Le sens du métier et la conviction de son utilité : nourrir sainement les citoyens (et pas seulement une « élite » comme dit Mélanie), font tenir face aux obstacles… qui pourraient pourtant faire péricliter l’exploitation comme tant d’autres en France.

                                 Non loin de l’atelier des enfants, permettant aux parents d’écouter sereinement, les premiers échanges avec les participants ont  donné l’occasion à Mélanie de l’alerter sur la nature de ces obstacles. Ils sont d’abord financiers : installée depuis cinq ans, Mélanie ne peut pour l’instant que rembourser les emprunts contractés sur quinze ans. Elle ne dégage pas de revenus sur son activité principale (les volailles) ! Trois cents consommateurs s’approvisionnent de façon régulière ou non à la ferme. Il faudrait sans doute plus d’engagement à long terme pour donner plus de visibilité aux finances. Augmenter la taille de l’exploitation ? Ce serait embaucher, les journées de Mélanie n’étant pas extensibles, et ce serait surtout changer le modèle de production : entrer dans une agriculture plus « industrialisée », standardisée. Alors, augmenter le prix de vente  d’un peu plus de sept euros le kilo aujourd’hui, à neuf/dix euros environ ? Mélanie a réaffirmé son souci éthique de laisser aux consommateurs modestes la possibilité de s’approvisionner chez elle…

                                  Car l’obstacle, c’est aussi la concurrence déloyale et les normes à géométrie variable. Les labels « poulets fermiers » que nous trouvons au supermarché, sont autorisés à partir de deux semaines seulement au grand air, en fin de croissance ; les volailles labellisées « bio » peuvent être produites en quatre-vingts jours… Chez Mélanie, les volailles sont en plein air, du début à la fin, et sont menées au terme de leur croissance (environ quatre mois), et de façon différenciée à l’intérieur d’un même lot… Et la veille de notre rencontre, Mélanie avait reçu un courrier rappelant les précautions sanitaires à prendre en raison de la crise aviaire, les délais à respecter pour les prendre… Injonctions faciles à appliquer dans les élevages industrialisés !

Chacun aura compris en ce bel après-midi très instructif, que le clivage n’est pas toujours entre agriculture bio et agriculture traditionnelle, mais entre agriculture paysanne de proximité dans laquelle le travailleur paysan a le souci combiné de son territoire, de ses animaux, de la qualité des produits des consommateurs, agriculture différente d’une ferme à l’autre, et agriculture industrialisée et standardisée tournée vers la productivité et la rentabilité, à laquelle le bio échappe le plus souvent mais pas toujours.

                               L’échange s’est ensuite poursuivi entre les participants, et avec les autres agriculteurs présents (éleveur de bovins en bio, maraîcher,…), sur comment soutenir Mélanie, et au-delà sur les solutions face à la « crise agricole », crise des revenus (face médiatiquement visible) mais aussi crise d’un mode de production et de commercialisation.

                                Une liste des participants a été établie, qui pourrait permettre à toutes les bonnes volontés qui le souhaitent, d’accompagner Mélanie, si elle le souhaite elle aussi, dans une série de démarches concrètes : démarche pour sécuriser l’accès routier à la ferme (route de Selles), construction d’un financement participatif si des mesures de sécurité sanitaire coûteuses devaient lui être imposées, accompagnement auprès des pouvoirs publics locaux (communauté de communes par exemple) pour un soutien financier à plus long terme, sur le modèle de ce qui se fait pour d’autres secteurs d’activité (industrie avec Caillau, commerces,…)

                                Au-delà de la situation de Mélanie, la réflexion s’est bien sûr élargie : Certains participants ont insisté davantage sur la responsabilité des consommateurs, qui doivent « faire des choix » éclairés, accepter de payer plus cher la qualité et ainsi pérenniser les exploitations « qui le méritent ». Plusieurs ont cherché à appliquer cette logique à des circuits comme les écoles, où on pourrait changer les règles des appels d’offre, donner la priorité à la proximité et à la qualité, afin que les jeunes apprennent le sens que représente se nourrir. D’autres  ont mis davantage l’accent sur les causes politiques de la crise agricole : faiblesse des revenus d’une partie de la population qui ne favorisent pas le fait de payer le juste prix ; PAC (politique agricole commune) et choix gouvernementaux d’être aux ordres du syndicalisme agricole de type FNSEA et de ne pas écouter le syndicalisme porteur d’alternatives…

                                 Les agriculteurs présents ont mis l’accent sur la difficulté à transmettre les exploitations, sur l’accompagnement public et la solidarité de la profession nécessaires pour que les bonnes volontés franchissent le pas de l’installation, et ne soient pas découragées une fois le pas franchi. En effet, le nombre d’exploitations diminue considérablement, et cela empêche une solidarité toute naturelle entre voisins : Mélanie, par exemple, est seule dans le secteur à élever des volailles de cette façon, impossible pour elle de trouver à se regrouper pour commander du matériel, par exemple. Par ailleurs, ceux qui s’installent abandonnent trop fréquemment le projet de reprise d’une exploitation, le travail leur apparaissant dans toute sa difficulté, qu’ils soient de familles du monde agricole ou non.

                               Finalement, autour des affichages de Mélanie, d’un jus de fruit, de pâtisseries bio et de livres, les échanges de tous bords se sont poursuivis, permettant à chacun de s’exprimer plus individuellement, d’aller à la rencontre de ceux qu’ils ont écouté, et de chercher comment continuer cette journée par des actions concrètes.

                                 Au total, des angles d’attaque différents mais non contradictoires, d’une même crise qui est d’abord la crise d’un modèle de production et de consommation, qui conduit la planète et ses habitants à la catastrophe, une crise de civilisation.

                                Du local au global, la journée romorantinaise de la transition citoyenne a donc rempli son office, dans une ambiance à la fois sérieuse et chaleureuse, portant tous vers la réflexion et l’action, ici et maintenant, mais aussi ailleurs et « demain ».

                            En effet, les échanges avaient commencé autour de la programmation par le cinéma de Romorantin, le CVL-Palace du film Des locaux très motivés le 30 septembre et se poursuivront avec la projection du film Demain de Mélanie Laurent, le jeudi 3 novembre à 20 h.

                                

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire